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Carolyn Carlson, danseuse : « On est responsable de notre vie, il faut cultiver l’optimisme »

Agée de 81 ans, Carolyn Carlson est devenue une légende de la danse contemporaine. Dotée d’un tempérament de feu, elle continue d’écrire, d’enseigner et d’inspirer de nouvelles générations de danseurs, tandis que sa compagnie poursuit ses voyages en reprenant ses chorégraphies mythiques, dont The Tree, donné les 22 et le 23 octobre au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris.
… Si je n’avais pas croisé la route d’un chorégraphe exceptionnel qui est devenu mon maître et qui a bouleversé ma vie. J’avais 22 ans, j’étudiais le théâtre, la danse et la philosophie à l’université de l’Utah, sans aucune idée de ce que je ferais plus tard. Et voilà qu’Alwin Nikolais a surgi pour animer un atelier temporaire dans ce coin d’Amérique entouré de montagnes et de désert. Ce fut une déflagration. Quel charisme, quelle ouverture à l’univers ! Il ne dansait pas, il parlait. A la fois poète, musicien, philosophe. Il proposait des concepts : espace, temps, forme, mouvement. Et, pour moi qui étudiais Friedrich Nietzsche et Gaston Bachelard, tout ce qu’il disait prenait un sens. Il ne m’a pas fallu deux semaines pour acquérir cette certitude : c’était ça, ma vie.
Quitter ma famille, mes études, l’Ouest américain, et suivre mon maître à New York. De toute urgence. Je n’ai même pas attendu la cérémonie de remise des diplômes. Ma mère était désolée : « Tu pourrais devenir professeure, épouser un médecin, avoir une grande maison… » J’ai dit : « Je dois partir, maman. » Et la Californienne libre qui aimait tant les arbres, l’océan, la nature, a foncé tête baissée vers une autre planète.
J’ai habité chez une amie, dans un quartier glauque du sud-est de Manhattan, découvert les milliers de sans-abri et la violence de la ville. Et puis j’ai sonné chez Alwin Nikolais : « Me voici, mais je suis désolée, je n’ai pas de quoi payer mes cours chez toi. » Il a souri : « Pas besoin. Te voilà membre de ma compagnie. » C’était fou. Il ne m’avait vue que pendant quelques jours, mais il avait aimé ce que j’étais. J’avais étudié le ballet, donc j’avais une technique solide : arabesques, pointes, entrechats, pas de problème, je maîtrisais. Mais surtout, j’étais spontanée, le corps et l’esprit disponibles pour l’improvisation et le travail sur des idées. Je ne serais payée que 40 dollars par semaine, mais je m’en fichais : je dansais chez Nikolais. Quel vertige !
Tout à fait. On était en 1965, c’était l’époque de la révolution hippie, de l’ouverture à toutes les idées, tous les récits, toutes les expériences. Nikolais organisait d’incroyables dîners et ouvrait en grand ses portes aux peintres, sculpteurs, compositeurs, musiciens, créateurs, y compris Andy Warhol avec sa crinière blanche et ses lunettes noires. On observait, on échangeait, on s’expliquait, on avait envie de tout tenter. L’idée de juger ou de dénigrer nous était étrangère. On s’inspirait mutuellement. Tout nous semblait intéressant. [Les chorégraphes] Meredith Monk et Merce Cunningham ouvraient également leurs studios. C’était une période d’une intensité dingue.
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